Sur la compétitivité de l'industrie des semi-conducteurs

Cher Monsieur,

Dans votre article "l'Europe du semiconducteur vacille", vous sollicitez des idées pour le chroniqueur de service. Tant pis pour vous.

La taille des sites de production est évidemment un facteur important pour la compétitivité des produits, grâce aux économies d'échelle, comme votre papier le souligne. Mon message vise à mettre en évidence qu'il est un autre facteur d'économie fort important: l'acquisition des connaissances au moindre coût. Un autre atout de ceux qui savent produire à bas coût est qu'ils se voient offrir les technologies de leur client. Ils obtiennent également, dans une large mesure, les connaissances associées en matière de conception.

Cette modalité de progression technique n'est pas accessible aux fabricants européens, qui ne fabriquent pas pour les autres. Mais les industriels européens, friands de grands et coûteux projets coopératifs, devraient se demander s'il n'est pas des sources de connaissance qu'ils négligent. Il est intéressant de constater qu'il est facile à quiconque de proposer des innovations à des entreprises telles que IBM, Intel, Xerox, etc. Dans ces entreprises, un service spécialisé examine les "submitted ideas", en relation avec les experts techniques internes et le département de propriété industrielle. Au bout de quelques semaines, ce type d'organisation répond à la proposition. Il permet à ces entreprises d'être ouvertes aux innovations de rupture (pour le moyen et le long terme), à un très faible coût, alors que les innovations incrémentales visant le court terme sont plutôt l'objet de concessions de licenses entre pairs, à un coût élevé.

J'aimerais ici prendre un exemple d'une innovation de notre entreprise, qui a initialement été décrite dans la presse française: il s'agit du procédé ZXtalk, présenté dans Electronique (No. 140, octobre 2003, pp. 57-61). La cession de notre premier brevet sur cette technique de réduction de l'écho et de la diaphonie dans les interconnexions rapides a été négociée avec plusieurs entreprises américaines, et conclue en moins de 3 mois. De plus, nous n'avons pas eu à courtiser nos acheteurs: ils avaient effectivement étudié nos brevets, ils ont posé des questions techniques ciblées et ont signé avec nous sans jamais demander à nous rencontrer. Quel contraste avec l'approche des industriels européens du semi-conducteur. Aucun d'entre eux n'est parvenu au stade de l'expression d'une question technique, et nos approches, répétées pendant plusieurs années, se sont invariablement perdues dans la bureaucratie. Ces interlocuteurs semblaient d'ailleurs être plus intéressés par l'incorporation éventuelle de nos idées dans des programmes de recherche européens, que par ces idées elles-mêmes. Quête de subsides et tenue de réunions sont les deux mamelles de la R&D française. Toujours est-il que dans le cas où des européens souhaiteraient maintenant utiliser ce brevet, il leur faudra payer le prix fort auprès de notre client, la société Rambus.

Ma conclusion est qu'il existe, pour les industriels européens du semiconducteur, un domaine dans lequel il leur serait facile de progresser: la veille technologique. Pour être pleinement opérationnelle au meilleur coût, cette activité doit être ouverte, dynamique, et orientée vers la négociation de l'obtention des connaissances et des droits permettant de les utiliser. Elle doit également savoir gérer le long terme, en contact avec les acteurs les plus variés. Ceci est peu coûteux. Les américains y excellent.

Veuillez accepter l'expression de mes sentiments les meilleurs.

   Frédéric Broydé
   Président d'Excem, Senior member of the IEEE.

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